Sex, basically


Je n'arrive pas très bien à m'expliquer pourquoi de plus en plus souvent, je me retrouve dans le café le moins attirant de Bruxelles, le "Berlaymont", situé au rez-de-chaussée du quartier général de la Commission européenne.
 Ce n'est certainement pas parce que les cafés manquent dans la ville. Il y en a même de très bons. On ne peut pas faire suffisamment l'éloge de la caféterie et de la restauration de Bruxelles.

 

Mais de plus en plus souvent je suis dans cette cafétéria, qui n'a rien, mais absolument rien pouvant servir d'inspiration à une rubrique de café. Il n'y a pas de service de table, une visite commence par la queue que l'on fait au bar. Les collaborateurs de l'entreprise d'exploitation encaissent des sommes mal arrondies, comme 1,03 euros pour un cappuccino. Des petites affiches sensibilisent les clients, la plus récente promouvait la "Semaine de l'UE pour l'énergie durable".

 

La clientèle de la cafétéria est authentique. C'est là que se retrouvent le fonctionnariat de l'UE, en tenue très formelle, pour converser de manière mesurée et rationnelle. J'étais donc passablement excité lorsqu'à une occasion, je pus observer une rencontre ayant une odeur de manigance. Elle sentait même un peu le sexe.

 

En général le cafétéria-talk est d'une nature qui le prédispose à être ignoré avec profit.  „Ba­­­si­cally, what the Commission does“, voilà ce que j'entendis des places devant moi. Venant de l'arrière, je fus atteint par un : “Communi­cating with the citi­zens”.

 

La seule fois que j'écoutais avec curiosité, je me trouvais près de la baie vitrée délimitant l'endroit. Je pouvais voir le coude de l'immeuble du Berlaymont, donnant sur une cour pavée et vide, avec des arbustes dénudés et des puits de lumière. Le palais de verre LEX fermait la perspective, assisté du ciel gris. La vue grise-vitrée-argentée n'était aérée que par un vestige néoclassique du "Résidence Palace" en démolition, éventré, abrasé, marron.

 

Peut-être que je suis de plus en plus souvent dans cette cafétéria parce que je suis sensible à la totalité qui en émane. On a beau se contorsionner, on ne voit rien que l'UE.

 

Il était vers trois heures, la cafétéria était à moitié vide. J'y avais souvent vu le héros de mon histoire. C'était un homme petit, rondelet, à lunettes et en costume, la cinquantaine. Il ressemblait au chanteur de pop Elton John, mais totalement dénué de la folie de ses accessoires.

 

L'héroïne avait moins de 30 ans et était totalement charmante. Elle avait mis ses cheveux en queue de cheval, portait de nombreux bracelets argentés, ses ongles étaient vernis de rouges. Je n'avais jamais vu une femme avec du vernis à ongles rouge dans la cafétéria de la commission. Rien que ces ongles symbolisaient le péché dans sa totalité, au milieu de cette population de bureau propre et nette.

 

Elle et lui, ils étaient tous deux britanniques. La jeune femme parlait avec un accent Cockney domestiqué. Son style insouciant digne d'un centre commercial ne cadrait pas avec le lieu. Voulait-elle réellement en faire partie ?

 

Une des bribes qui me parvenait m'appris que le gentleman divertissait la jeune femme coquette avec un feu nourri de récits cruels. Il commença par le moyen-âge en Écosse, passa à Idi Amin et gagna suffisamment d'élan pour lancer une boutade : „I should kill you“. Il servait ses pointes de manière sèche, au moment de les envoyer il relevait ses sourcils, plein d'espoir.

 

La jeune femme avait un rire grave et guttural. Alors qu'il était assis devant elle comme un enfant de chœur, elle se tournait de droite à gauche dans son fauteuil pivotant, le laissant observer ses jambes gainées de noir. „What about my shoes?“, demanda-t-elle en levant ses bottes. J'étais tendu à en craquer. Que pouvait-elle vouloir du fonctionnaire ?

 

Elle buvait du Coca light avec une paille, la canette devait être vide depuis longtemps. Ce n'est que peu à peu que je compris la ruse. Elle aspirait le Coca à travers la paille blanche, humectait tout au plus ses lèvres pour relâcher le liquide dans la canette. Elle le faisait probablement inconsciemment. Mais cette manière de jouer avec le liquide augmentait certainement l'attention du monsieur dans la force de l'âge.

 

Le gentleman finit par donner suite à la demande de la coquette. „Un bon CV t'ouvrira des portes“, dit-il, „tout est dans la présentation.“ Il lui conseilla de choisir une police italique, d'une taille de 14 points pour l'introduction, et de 12 pour le reste. La corruption s'arrêta là, du moins celle dont j'étais témoin.  Et cependant, pour cette cafétéria-la, c'était incroyablement torride.